Rencontre en toute intimité
Marie Bochet est l’enfant du pays. Née dans une famille d’agriculteurs (son père Yvon Bochet dirige aujourd’hui la Coopérative Laitière du Beaufortain), elle a grandi entre le village de Villard-sur-Doron et l’alpage de Plan Mya, sous le col de Roselend. Sa carrière sportive l’a conduite à tailler des courbes sur les plus belles neiges du monde, mais c’est ici qu’elle revient, toujours, se ressourcer. François d’Haene, en trailer infatigable, a longtemps pratiqué une valse à deux temps entre Beaujolais et Beaufortain, avant de définitivement poser ses valises à Arêches. Vie rythmée par les saisons, liens sociaux simples et conviviaux, nature généreuse comme une invitation permanente à vivre dehors, c’est leur vision intime du Beaufortain qu’ils ont partagée lors de cet entretien.
Le Beaufortain : inné ou acquis ?
Marie Bochet : j’ai toutes mes racines ici, ma famille, plusieurs générations au cimetière (rires) ! Enfant, j’avais vraiment une vie extraordinaire, entre mon village de Villard et l’alpage où nous passions tous les étés. On partait peu en vacances, mais à quoi bon ? J’avais un terrain de jeu exceptionnel, j’ai pratiqué les activités dont tout enfant peut rêver, même de la voile sur le lac de Roselend ! Et l’hiver, on continuait avec les activités disponibles en station.
François d’Haene : je suis né dans le Nord puis mes parents sont venus s’installer en Savoie quand j’avais 3 ans. J’ai grandi dans un cadre naturel et sauvage, assez proche de la montagne. Avec ma femme Carline, nous nous sommes installés dans le Beaujolais pour reprendre un vignoble, tout en maintenant un lien étroit avec la montagne et en particulier le Beaufortain, où nous venions passer l’hiver. Je pouvais concilier ici les aspects d’une montagne sauvage, technique, assez alpine, et un cadre de vie convivial et finalement plus épanouissant pour ma famille. Nous avons pris la décision de nous installer complètement dans le Beaufortain cette année.
Quels sont les atouts principaux du massif du Beaufortain ?
FDH : le massif présente une grande diversité géologique et de fait, des paysages très variés. On peut dire qu’il y en a pour tous les âges et toutes les générations : plat, vallonné, alpin, jusqu’à la haute-montagne que je qualifierais ici d’accessible. Les villages ont gardé une taille humaine et une vie animée toute l’année, ce qui fait la différence avec certaines régions de montagne. Des familles s’installent, à tel point que des classes supplémentaires ouvrent dans certains villages, des lignes scolaires autrefois fermées sont remises en service.
MB : on s’attache au Beaufortain quand on découvre sa vitalité. Comme beaucoup, mes frères et soeurs sont partis s’installer ailleurs, et ils sont tous en train de revenir. Ils ne s’imaginent pas offrir à leurs enfants un autre cadre que celui dans lequel ils ont grandi. Même s’il n’est pas évident de s’installer ici : on préserve les terres agricoles, les terrains constructibles sont rares et l’ancien peu accessible.
Comment voyez-vous votre place dans cette communauté montagnarde ?
FDH : les gens du Beaufortain ne voient pas que le sportif en vous, même si cela a contribué à créer des liens. J’ai un exemple en tête : à la première rentrée des enfants, après la petite présentation dans la classe, on a eu la surprise de voir que des parents d’élèves nous attendaient à la sortie de l’école pour aller boire un café ensemble. C’était vraiment touchant.
MB : lorsque je suis ici, on ne me réduit pas à mon image de skieuse. J’ai une identité détachée de mes performances sportives. Je me sens dans un cocon et je peux me ressourcer en toute tranquillité. Je peux m’extraire de la compétition en m’ouvrant à des activités différentes, comme les loisirs créatifs que je pratique lors d’ateliers à la Boutique de Beaufort. C’est aussi une manière de participer à ce lien tissé entre les habitants.
Un endroit fétiche dans le massif, où vous prenez plaisir à retourner quelle que soit la saison ?
MB : c’est le Roc du Vent, la première rando que j’ai faite quand j’étais petite. C’est un sommet accessible, qui offre un panorama extraordinaire sur la vallée, et où j’ai plein de souvenirs.
FDH : j’ai la chance de pouvoir crapahuter un peu partout, mais le secteur où je vais beaucoup, été comme hiver, c’est la ligne de crêtes entre la Légette du Mirantin, le Mirantin, l’arête du Grand Mont. Il ne se passe pas une semaine sans que j’aille y faire un tour. Comme le parcours n’est pas tracé, je m’y retrouve souvent seul, dans un environnement sauvage, technique et aérien.
Retour à la compétition : quels sont vos objectifs sportifs pour 2021 et 2022 ?
FDH : je me suis fixé un challenge pour l’été 2021 : enchaîner deux ultra-trails en 6 semaines, la Hardrock 100 et l’UTMB. La Hardrock, c’est une course mythique dont je prends le départ pour la première fois. 100 miles (soit 160 km), très peu de concurrents, un parcours très sauvage dans les montagnes du Colorado avec une dizaine de passages en haute-altitude à près de 4000 mètres. Je vais l’enchaîner avec l’Ultra Tour du Mont-Blanc (un Ultra de 167 km dont François d’Haene détient le record en 20h11′) une course à laquelle je n’ai pas participé depuis 4 ans. C’est la notion de défi qui me motive et la possibilité de partager ma préparation, les courses avec la communauté du trail.
MB : l’hiver 2022 sera intense avec deux objectifs majeurs : les Championnats du Monde de ski, prévus en 2021 et décalés en raison de la situation sanitaire, et les JO de Pékin. Vu l’importance des enjeux, avec mes entraîneurs nous avons décidé de prioriser les Jeux. Après trois Olympiades (Vancouver 2010, Sotchi 2014, Pyeongchang 2018), les Jeux de Pékin seront sans doute mes derniers. Et pas les plus faciles ! Depuis deux saisons, une nouvelle concurrence apparaît sur le circuit féminin. Ce sera forcément une saison chargée en émotions.
Marie Bochet | Bio express
Arêches Beaufort | 27 ans
Discipline : ski handisport
Clubs : Ski-club d’Arêches Beaufort / Albertville Handisport
Palmarès : 8 médailles d’or aux Jeux Paralympiques (Sotchi 2014, Pyeongchang 2018), 20 titres de championne du monde, 8 globes de cristal du classement général de la Coupe du Monde
François d’Haene | Bio express
Arêches Beaufort | 35 ans
Discipline : trail
Palmarès : 3 fois vainqueur de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (2012, 2014, 2017) ; 4 fois du Grand Raid (2013, 2014, 2016, 2018) ; 2 fois de l’Ultra-Trail World Tour (2014, 2017). Vainqueur de la Madeira Island Ultra Trail (2017, 2019) et 2ème de la Western States 100 (2018) et de l’Ultra-Trail Cape Town (2019).